Femme fatale

 

     Aujourd'hui ma renommée n'est plus ce qu'elle était, mon prestige, ma popularité, mon succès…tous peu à peu ont disparu. Ma fin est proche, je le sens, et elle ne sera pas faite de gloire mais de déception et de rancune. Certes, il y a encore quelques personnes qui me restent fidèles, mais leur nombre diminue chaque année et un jour arrivera où je n'en aurai plus aucune auprès de moi. Pourtant, dans le passé, j'étais admirée lorsqu'on me voyait en compagnie des plus grandes stars hollywoodiennes…

     En effet, dans les années 60, au point culminant de mon succès, j'étais toujours entourée des plus grandes actrices et acteurs. Dans les films ou dans les soirées, j'étais souvent sous les feux des projecteurs et il est vrai que ma silhouette longiligne attirait le regard des gens ; souvent blonde, parfois brune, je savais me mettre en valeur grâce à quelques tenues exotiques ; en me voyant ils avaient l'impression de voyager et c'était aussi ce beau cow-boy à mes côtés qui les faisait rêver. Contrairement à mon cousin des îles au teint hâlé, je ne restais pas uniquement entourée d'hommes riches et bientôt on me connut dans tous les milieux. Je devins rapidement un symbole de liberté pour les femmes tandis qu'en Europe, je représentais l'Amérique.
Ma renommée me dépassait et mon aura, ma séduction touchaient même le jeune public, qui en ma présence se donnait un air décontracté et distingué. Me fréquenter, m'adopter était pour eux une sorte de passage à l'âge adulte, un rite initiatique. Je ne m'en rendais pas compte mais ma vie partait en fumée beaucoup trop rapidement. Puis peu à peu, les gens s'habituèrent à me voir un peu partout et c'est seulement au moment où je les quittais qu'ils me regrettaient, certains prenaient même du poids pour combler d'une certaine manière le vide qu'ils ressentaient en ne me fréquentant plus.
C'est à ce moment-là que mes premiers détracteurs apparurent et curieusement ce fut parmi mes anciens amis que cela débuta, le vieux cow-boy commença à dire que j'étais malsaine, que je l'oppressais, que je l'empêchais de respirer ... c'est sur son lit de mort, le souffle court, qu'il paya cet affront de sa vie. Mais il fut suivi et je continuais d'être dénigrée, insultée, rabaissée... Les mots blessants qui passaient entre les dents jaunâtres de ces traîtres étaient un véritable choc pour moi.
Je répondis alors violemment, et un peu partout dans le monde on se mit à signaler la mort de plusieurs de mes anciens " amis " ; empoisonnés, depuis plusieurs années apparemment, ils mouraient en se tordant de douleur sur leur lit d'hôpital. Désormais on disait ouvertement que j'étais un véritable fléau. On m'évitait, je n'étais plus la bienvenue à la plupart des dîners, et dans certains restaurants, dans certains cafés on allait jusqu'à m'expulser ! Les affiches, qui me représentaient autrefois comme une bienfaitrice, me faisaient aujourd'hui apparaître comme une dangereuse meurtrière, sous mes apparences prétendument trompeuses.
Après avoir été si ignoblement trahie, je vis se consumer tout ce que j'avais construit . Moi qui avais fréquenté toutes les plus grandes stars, je me retrouvai réduite au misérable statut d'assassin. Et pour m'humilier encore plus le ministère et ses médecins m'obligèrent à porter, à la manière des miss, un bandeau insultant. Quelle honte !

     Heureusement quelques personnes croient encore en moi, mais je n'ai aucune idée de ce qui les pousse à cela. Souhaitent-ils se distinguer en restant en ma compagnie ? Je ne pense pas que cela soit la bonne solution, étant donné que je suis décrite comme une meurtrière. Est-ce-que malgré toutes mes mésaventures, mon pouvoir de séduction agit encore sur eux ? C'est probable, bien que j'aie toujours mon ennemi personnel, le tabacologue, qui est là pour leur rappeler qu'en ma compagnie le cancer du poumon est vite arrivé. Et c'est ainsi, que remplie de haine, de goudron et de nicotine, j'achève ma longue carrière dans le fond d'un cendrier…




 

Vespa