Et que le meilleur gagne

 

    J'allais me battre. C'était maintenant irrévocable. La décision venait d'être prise, scellant notre destin à tous. J'attendais la mort. J'avais été bien trop chanceux dans mes batailles précédentes pour en réchapper une nouvelle fois. Le départ était imminent. Les chevaux étaient sellés et les hommes prêts à partir. C'est donc l'estomac noué et la peur au ventre que je me dirigeais vers le champ de bataille. Arrivés là-bas, nous nous sommes disposés dans un geste uniforme qui révélait notre grande expérience en matière de combat. Chacun avait sa place. Une croix semblait indiquer exactement l'endroit où nous devions nous installer : cela était dû aux longues séances d'entraînements que nous imposait le roi pour prévoir les temps de guerre. Je ne détestais pas mon souverain, mais je ne l'appréciais pas pour autant. Son caractère belliqueux nuisait à sa manière de gouverner et ses défis qu'il qualifiait lui-même d'amusants se terminaient pas la mort de quelques-uns de ses soldats. Nous ne pouvions désobéir à ses injonctions. Mais ce qui m'horripilait le plus était le fait que venir en aide à un compagnon était impossible.
L'armée adverse est arrivée toute de banc vêtue. Elle ne nous était pas inconnue et nous avions donc bien du mal à les traiter en ennemis. Comment pouvions-nous appeler ennemis ce qu'un jour nous avions nommés compagnons ? La bataille était pourtant inévitable.
Clarté contre obscurité. Blanc contre Noir.
Combien d'adversaires nous avions dû éliminer pour en arriver là, je n'en avais aucune idée. Etape par étape, nous sommes parvenus au sommet. Dernier combat. Combat de chefs. Allions-nous être déclarés vainqueurs ? L'heure était enfin venue de le savoir.
Epées levées, têtes hautes. En face, premier mouvement. Réplique instantanée. La bataille avait commencé. Enchaînements de coups et explosion de hargne. Tels ont été les maîtres mots de ce combat. La bataille battait son plein. Tout d'un coup, je me suis retrouvé face à un cavalier ennemi. Brandissant mon épée, je cours à sa rencontre. Il me porte un coup d'estoc que je pare avec difficulté et qui me déséquilibre. Profitant de mon instabilité, il reprend les rênes de son cheval, qu'il a perdues à mon arrivée. Je me redresse et lève mon arme. Feinte. Au dernier moment, je me baisse, évitant son épée. Demi-tour du cavalier. Trop tard. Son cheval part au galop mais le corps de son maître n'y est plus, gisant à mes pieds, une épée plantée dans le dos. Essoufflé, je commençais à reprendre mes esprits. J'ai vaincu un cavalier. Etonnement, fierté, espoir. Trois sentiments que j'ai ressentis à la suite de ce duel. Une force invisible semblait m'avoir guidé, ayant déjà connaissance de l'issue du combat. Malgré la douce euphorie dans laquelle j'étais plongé, je ne pouvais pas décemment abandonner mes compagnons à une mort certaine. Je suis donc revenu à la réalité. Et ce que j'ai vu m'a désolé : notre armée était décimée. Pire. C'était une véritable hécatombe. Les défenses étaient tombées. La mort guettait. Après son début brutal, le combat a perdu de l'amplitude. La fatigue a commencé à se faire ressentir : les mouvements sont devenus plus espacés. Puis, incompréhension totale. Derrière moi, gisait le cors d'un des frères De la Tour, décapité pas un des cavaliers de nos opposants. Pourquoi diable était-il venu jusque-là, se sachant pourtant sous la menace de l'armée adverse ? Le fait que le roi veuille adopter une stratégie hasardeuse était la cause la plus plausible mais ce sacrifice était un prix lourd à payer pour établir ce plan d'attaque. La violence de la bataille m'empêchait de réfléchir en profondeur à la question. Mon hébétude a été instantanément supplantée par ma rage de vaincre et mon désir de vengeance. Pourtant, malgré nos efforts et notre volonté, l'ennemi prenait l'avantage. Nous peinions sous les coups de nos rivaux et nos pertes augmentaient plus rapidement que celles d'en face. Chaque nouveau coup de l'adversaire nous entraînait vers la défaite. Nous étions submergés, pris dans un flot discontinu de coups et de flèches, d'agressivité et d'assurance. Notre effectif réduisait à vue d'œil. L'espoir m'avait quitté. J'étais désormais le dernier fantassin encore en vie. Le dernier pion utilisé pour protéger la vie de mon roi. Mais je ne pouvais reculer. Je faisais donc face à la mort, plein de bravoure et de hardiesse. Dernier regard qui m'a permis de remarquer qu'un fantassin adverse m'avait en ligne de mire. Dernier regard qui, à mon plus grand dam, m'a appris que le roi succombait, encerclé par l'ennemi. Dernier regard à la vie.
" Echec et mat "
Ce furent les seuls mots prononcés de la partie.

Le perdant ramassa les nombreux pions déjà hors du jeu puis ceux restés sur le plateau, finissant par ranger le dernier simple pion noir tombé au combat. Il se leva, serra la main de son rival et s'en alla sans un mot.





Maud ROY