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Voir le Déjeuner sur l'herbe de Manet sur le site Webmuseum
Le Déjeuner sur l'herbe de Zola : détournement d'un tableau
Dans l'Oeuvre, Zola décrit un tableau de son héros, le peintre Claude Lentier:
Un long silence se fit, tous deux regardaient, immobiles. C'était une toile de cinq mètres sur trois, entièrement couverte, mais dont quelques morceaux à peine se dégageaient de l'ébauche. Cette ébauche, jetée d'un coup, avait une violence superbe, une ardente vie de couleurs. Dans un trou de forêt, aux murs épais de verdure, tombait une ondée de soleil; seule, à gauche, une allée sombre senfonçait, avec une tache de lumière, très loin. Là, sur l'herbe, au milieu des végétations de juin, une femme nue était couchée, un bras sous la tête, enflant la gorge; et elle souriait, sans regard, les paupières closes, dans la pluie d'or qui la baignait. Au fond, deux autres petites femmes, une brune, une blonde, également nues, luttaient en riant, détachaient, parmi les verts des feuilles, deux adorables notes de chair. Et, comme au premier plan le peintre avait eu besoin d'une opposition noire, il s'était bonnement satisfait, en y asseyant un monsieur, vêtu d'un simple veston de velours. Ce monsieur tournait le dos, on ne voyait de lui que sa main gauche, sur laquelle il s'appuyait, dans l'herbe.
Emile Zola, lOeuvre 1886
On peut comparer cette version avec le texte dans lequel Zola évoque le tableau de Manet:
Le
Déjeuner sur l'herbe est
la plus grande toile d'Edouard Manet, celle où
il a
réalisé le rêve que font tous les peintres: mettre des figures de grandeur naturelle
dans un paysage. On sait avec quelle puissance il a vaincu cette difficulté. Il y a là
quelques feuillages, quelques troncs d'arbres, et, au fond, une rivière dans laquelle se
baigne une femme en chemise; sur le premier plan, deux jeunes gens sont assis en face
d'une seconde femme qui vient de sortir de l'eau et qui sèche sa peau nue au grand air.
Cette femme nue a scandalisé le public, qui n'a vu qu'elle dans la toile. Bon Dieu!
quelle indécence: une femme sans le moindre voile entre deux hommes habillés! Cela ne
s'était jamais vu. Et cette croyance était une grossière erreur, car il y a au musée
du Louvre plus de cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés des personnages
habillés et des personnages nus. Mais personne ne va chercher à se scandaliser au musée
du Louvre. La foule s'est bien gardée d'ailleurs de juger Le Déjeuner sur l'herbe comme
doit être jugée une véritable oeuvre d'art; elle y a vu seulement des gens qui
mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a cru que l'artiste avait mis une
intention obscène et tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l'artiste avait
simplement cherché à obtenir des oppositions vives et des masses franches. Les peintres,
surtout Edouard Manet, qui est un peintre analyste, n'ont pas cette préoccupation du
sujet qui tourmente la foule avant tout; le sujet pour eux est un prétexte à peindre
tandis que pour la. foule le sujet seul existe. Ainsi, assurément, la femme nue du Déjeuner
sur lherbe nest là que pour fournir à
l'artiste l'occasion de peindre un peu de chair. Ce qu'il faut voir dans le
tableau, ce nest pas un déjeuner sur l'herbe, c'est le paysage entier, avec ses
vigueurs et ses finesses, avec ses premiers plans si larges, si solides, et ses fonds
d'une délicatesse si légère; c'est cette chair ferme modelée à grands pans de
lumière, ces étoffes souples et fortes, et surtout cette délicieuse silhouette de femme
en chemise qui fait dans le fond, une adorable tache blanche au milieu des feuilles
vertes, cest enfin cet ensemble vaste, plein d'air, ce coin de la nature rendu avec
une simplicité si juste, toute cette page admirable
dans laquelle un artiste a mis tous les
éléments particuliers et rares qui étaient en lui.
Emile Zola, Edouard Manet 1867