Paroles de peintres

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Vous écoutez un extrait de Claire de lune de Claude Debussy  Sequence ©  RobertS. Finley by permission.   Original from the Classical MIDI Archives

Paul Cézanne  Maurice Denis Paul Gauguin Vassili Kandinsky

A la fin du dix-neuvième siècle, les peintres font un bilan théorique. Si Cézanne se réclame encore de "la nature", d'autres sont de plus en plus critiques par rapport aux impressionnistes et au courant naturaliste. Avec Kandinsky, ce revirement va conduire à l'abstraction.

Cézanne. Correspondance recueillie par John  Rewald Paris Grasset 1937

Voir sur le Webmuseum Nature morte avec pommes; Musée de l'Ermitage St Petersbourg

Je crains bien que tous les tableaux des anciens maîtres et représentant des choses en plein air n'aient été faits de chic, car cela ne me semble pas avoir l'aspect vrai et surtout original que fournit la nature.

 à Zola 1866 p 99

...Pour l'heure présente, je continue à chercher l'expression de ces sensations confuses que nous apportons en naissant.

A Joachim Gasquet 1896 p 227

Mais après avoir vu les grands maîtres qui y reposent (au Louvre ), il faut se hâter d'en sortir et vivifier en soi, au contact de la nature, les instincts, les sensations d'art qui résident en nous.

A Charles Camoin 1903 p 255

Car si la sensation forte de la nature — et certes je l'ai vive — est la base nécessaire de toute conception d'art, et sur laquelle repose la grandeur et la beauté de l’œuvre future, la connaissance des moyens d'exprimer notre émotion n'est pas moins essentielle et ne s'acquiert que par une très longue expérience.

A Louis Aurenche 1904 p 257

Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central. Les lignes parallèles à l'horizon donnent l'étendue, soit une section de la nature ou, si vous aimez mieux, du spectacle que le pater omnipotens aeterne deus étale devant nos yeux. Les lignes perpendiculaires à cet horizon donnent la profondeur. Or la nature, pour nous hommes, est plus en profondeur qu'en surface, d'où la nécessité d'introduire dans nos vibrations de lumière, représentées par les rouges et les jaunes, une somme suffisante de bleutés, pour faire sentir l'air.

A Émile Bernard 1904 p 259

Pour les progrès à réaliser, il n'y a que la nature et l’œil s'éduque à son contact. Il devient concentrique à force de regarder et de travailler. Je veux dire que, dans une orange, une pomme, une boule, une tête, il y a un point culminant; et ce point est toujours,—  malgré le terrible effet : lumière et ombre, sensations colorantes — le plus rapproché de notre œil; les bords des objets fuient vers un centre placé à notre horizon.

A Émile Bernard 1904  p 265

Une   sensation optique se produit dans notre organe visuel, qui nous fait classer par lumière, demi-ton ou quart de ton les plans représentés par des sensations colorantes. (la lumière n'existe donc pas pour le peintre )

A Émile Bernard 1904 p269

 

Maurice Denis

Théories: du symbolisme au classicisme Hermann Paris 1964

Se rappeler qu'un tableau — avant d'être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote — est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. p.13

Il ne s'agit plus de provoquer l'illusion réaliste du proche et du lointain, mais bien plutôt de dissiper cette habitude perceptive. Il s'agit de résoudre le problème pictural d'une forme se détachant sur un fond, puisque le tableau vient avant le sujet. Les Nabis iront jusqu'à proposer et appliquer la réduction de l'espace à deux plans : un pour le fond et un seul pour le motif.

Préface de la IX° exposition des peintres impressionniste et symbolistes (chez Le Barc de Boutteville en 1995)

 

Au lieu de fenêtres ouvertes sur la nature, comme les tableaux des impressionnistes, c'étaient des surfaces lourdement décoratives, puissamment coloriées, et cernées d'un trait brutal, cloisonnées, car on parlait à ce propos de cloisonnisme et encore de japonisme. 58

La tranche de vie était servie toute crue; en même temps l'amour aristocratique du mot rare, de l'état d'âme inédit et de l'obscurité dans la poésie, exaspérait le lyrisme des jeunes écrivains. Ce que nous demandions à Cézanne, à Gauguin et à Van Gogh, ils le trouvaient chez Verlaine, chez Mallarmé, chez Laforgue : « De toute part, disait Albert Aurier dans l'article manifeste de la revue Encyclopédique 1892, on revendique le droit au rêve, le droit aux pâturages de l'azur, le droit à l'envolement vers les étoiles niées de l'absolue vérité. La copie myope des anecdotes sociales, l'imitation imbécile des verrues de la nature, la plate observation, le trompe l'œil, la gloire d'être aussi fidèlement, aussi banalement exact que le daguerréotype ne contente plus aucun peintre, aucun sculpteur digne de ce nom »115

L'art pour eux (Gauguin et Van Gogh) comme pour leurs prédécesseurs, c'est le rendu d'une sensation, c'est l'exaltation de la sensibilité individuelle. Tous les éléments d'excès et de désordre provenant de l'impressionnisme, ils les exaspèrent d'abord, et ce n'est que peu à peu qu'ils prennent conscience de leur rôle novateur, et qu'ils s'aperçoivent que leur synthétisme et leur symbolisme est précisément l'antithèse de l'impressionnisme. 117

...Nous avons substitué à l'idée de « la nature vue à travers un tempérament », la théorie de l'équivalence ou du symbole; nous affirmions que les émotions ou états d'âme provoqués par un spectacle quelconque, comportaient dans l'imagination de l'artiste des signes ou équivalents plastiques capables de reproduire ces émotions ou états d'âme sans qu'il soit besoin de fournir la copie du spectacle initial, qu'à chaque état de notre sensibilité devait correspondre une harmonie objective capable de le traduire.118

 

Paul Gauguin.

 

Oviri Écrits d'un sauvage. folio essais Paris 1989.

Voir sur Webmuseum Le Cheval blanc (musée d'Orsay)

[...] Un conseil, ne peignez pas trop d'après nature. L'art est une abstraction, tirez-la de la nature en rêvant devant et pensez plus à la création qui résultera. p 40

Je m'éloignerai autant que possible de ce qui donne l'illusion d'une chose et, l'ombre étant le trompe-l’œil du soleil, je suis porté à la supprimer.45

Huysmans est un artiste. Beaucoup de peintres voudraient être musicien ou littérateur. Lui voudrait être peintre, il aime la peinture. Autrefois naturaliste, il louait les naturalistes, [...] Depuis il s'est fait un grand changement en lui car il a soif d'art   Dans son livre Certains, il nous montre encore une série de peintres. Comme toujours, il veut lui-même faire un tableau. 59

Ainsi Gustave Moreau ne parle qu'un langage écrit par les gens de lettres; c'est en quelque sorte l'illustration de vieilles histoires. 61

D'ailleurs, qu'il y ait ou non des ombres bleues, peu importe : si un peintre voulait demain voir les ombres roses ou violettes, on n'aurait pas à lui en demander compte, pourvu que son œuvre fût harmonique et qu'elle donnât à penser. 138

Dessiner franchement, ce n'est point affirmer une chose vraie de la nature mais se servir de locutions picturales qui ne déguisent pas la pensée.163

Mon Dieu, que c'est difficile la peinture quand on veut exprimer sa pensée avec des moyens picturaux et non littéraires. 166

Le point caractéristique de la peinture du XIX e siècle est la grande lutte pour la forme, pour la couleur 170

Vinrent les Impressionnistes! Ceux-là étudièrent la couleur exclusivement en tant qu'effet décoratif, mais sans liberté, conservant les entraves de la vraisemblance... 172

Zola lui-même, si peu peintre, lui qui a un goût si prononcé pour les teintes de bitume (langage convenable) s'occupe dans la magasin de Mouret, le « Bonheur des Dames» à faire des bouquets blancs de nuances infinies. 173

De la couleur ainsi déterminée par son charme propre, indéterminée en tant que désignation d'objets perçus dans la nature, il en ressort un « qu'est-ce que cela pourrait bien dire ? » troublant et déroutant vos qualités d'analyse. Qu'importe!178

 

Kandinsky -

Voir  sur le Webmuseum Composition IV 1911, musée de Dusseldörf

Du spirituel dans l'art

 A l'heure actuelle, on cherche dans l'oeuvre d'art ou bien une simple imitation de la nature qui peut servir à des fins pratiques (portrait au sens le plus banal du mot, etc.) ou une imitation de la nature comportant une certaine interprétation, un peinture « impressionniste», ou enfin des états d'âme déguisés sous des formes naturelles (ce qu'on appelle ambiance).

Seule subsiste la question «comment» l'objet corporel pourra être rendu par l'artiste. Elle devient le credo. Cet art n'a pas d'âme.

Aujourd'hui la peinture se limite encore presque exclusivement à des formes empruntées à la nature. Son problème actuel est de mettre à l'essai d'évaluer ses possibilités et ses moyens, de les analyser comme le fait la musique depuis des temps immémoriaux [...] d'essayer d'utiliser ses possibilités et ses moyens de façon purement picturale.

Entre ces deux limites se situe le nombre infini des formes.

Cette impossibilité et cette inutilité (dans l'art)  de copier sans but l'objet, cette tentative d'emprunter à l'objet ce qu'il a de plus expressif, voilà dans l'avenir les points de départ qu'a l'artiste pour commencer à passer de la coloration « littéraire » de l'objet à des buts purement artistiques (ou du moins picturaux). Cette voie conduit au compositionnel.

C'est pourquoi il faut trouver une forme qui, d'une part, exclut l'effet de légendaire et, d'autre part, n'entrave en aucune façon l'effet de la couleur.... Il est plus facile de peindre la nature que de combattre contre elle.

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