Le XVIII° siècle, creuset du réalisme

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 D'Alembert   Diderot  Hume      D'holbach     Voltaire

Vous écoutez Partita No1 in C BWV772  de Bach Sequence © Pierre R. Schwob - by permission.
Original from the Classical MIDI Archives

  D'Alembert

Toutes nos connaissances directes se réduisent à celles que nous recevons par les sens; d'où il s'en suit que c'est à nos sensations que nous devons  toutes nos idées.

Discours préliminaire de l'encyclopédie.

  Diderot

Cent fois j'ai été tenté de dire aux jeunes élèves que je trouvais sur le chemin du Louvre, avec leur portefeuille sous le bras : " Mes amis, combien y a-t-il que vous dessinez là ? Deux ans. Eh bien ! C’est plus qu'il ne faut. Laissez-moi cette boutique de manière. Allez-vous-en aux Chartreux ; et vous y verrez la véritable attitude de la piété et de la componction. C'est aujourd'hui veille de grande fête : allez à la paroisse, rôdez autour des confessionnaux, et vous y verrez la véritable attitude du recueillement et du repentir. Demain, allez à la guinguette, et vous verrez l'action vraie de l'homme en colère. Cherchez les scènes publiques ; soyez observateurs dans les rues, dans les jardins, dans les marchés, dans les maisons, et vous y prendrez des idées justes du vrai mouvement dans les actions de la vie. Tenez, regardez vos deux camarades qui disputent ; voyez comme c'est la dispute même qui dispose à leur insu de la position de leurs membres. Examinez-les bien, et vous aurez pitié de la leçon de votre insipide professeur et de l'imitation de votre insipide modèle. Que je vous plains, mes amis, s' il faut qu'un jour vous mettiez à la place de toutes les faussetés que vous avez apprises, la simplicité et la vérité de Le Sueur ! Et il le faudra bien, si vous voulez être quelque chose.

DIDEROT, Essais sur La peinture

On peut rapprocher ce texte de deux passages de Zola concernant Manet

 

D’Holbach

L'esprit humain ne peut que s'égarer lorsque renonçant au témoignage de ses sens, il se laissera guider par l'enthousiasme et l'autorité. Si nous voulons nous faire des idées claires de notre âme, soumettons-la donc à l'expérience, renonçons à nos préjugés, écartons les conjectures théologiques, déchirons des voiles sacrés qui n'ont pour objet que d'aveugler nos yeux et de confondre notre raison. Que le physicien, que l'anatomiste, que les médecins réunissent leurs expériences et leurs observations pour nous montrer ce que nous devons penser d'une substance qu'on s'est plu à rendre méconnaissable; que leurs découvertes apprennent au moraliste les vrais mobiles qui peuvent influer sur les actions des hommes; aux législateurs les motifs qu'ils doivent mettre en usage pour les exciter à travailler au bien-être général de la société; aux souverains les moyens de rendre véritablement et solidement heureuses les nations soumises à leur pouvoir. Des âmes physique et des besoins physiques demandent un bonheur physique et des objets réels et préférables aux chimères dont depuis tant de siècles on repaît nos esprits. Travaillons au physique de l'homme, rendons-le agréable pour lui, et bientôt nous verrons son moral devenir et meilleur et plus fortuné; son âme rendue paisible et sereine, sa volonté déterminée à la vertu par les motifs naturels et palpables qu'on lui présentera.

le Système de la nature I chap.VII

Hume

   La différence est très grande entre le jugement et le sentiment. Tout sentiment est juste ; parce que le sentiment n'a pas de référence en dehors de lui-même ; il est toujours réel, chaque fois qu'un homme est conscient de l'avoir. Mais toutes les déterminations de l'entendement ne sont pas justes, parce qu'elles ont référence à quelque chose d'extérieur à elles, c'est-à-dire à un fait réel, et ne sont pas toujours conformes à cette norme.David Hume, Essai sur la norme du goût

Voltaire

BEAU, BEAUTÉ

Demandez à un crapaud ce que c'est que la beauté, le grand beau, "to kalon". Il vous répondra que c'est sa femelle avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.Interrogez  le diable; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes et une queue. Consultez enfin les philosophes, ils vous répondront par du galimatias; il leur faut quelque chose de conforme à l'archétype du beau en essence, au "to kalon". J'assistais un jour à une tragédie auprès d'un philosophe. « Que cela est beau ! disait-il.

- Que trouvez-vous là de beau ? lui dis-je.

-C'est, dit-il, que l'auteur a atteint son but. » Le lendemain il prit une médecine qui lui fit du bien.

« Elle a atteint son but, lui dis-je; voilà une belle  médecine ! » Il comprit qu'on ne peut pas dire qu'une médecine est belle, et que pour donner à quelque chose le nom de"beauté", il faut qu'elle vous cause de l'admiration et du plaisir. Il convint que cette tragédie lui avait inspiré ces deux sentiments, et que c'était là le "to kalon", le beau. Nous fîmes un voyage en Angleterre : on y joua la même pièce, parfaitement traduite; elle fit bâiller tous les spectateurs. « Oh ! oh,dit-il, le "to kalon" n'est pas le même pour les Anglais et pour les Français. » Il conclut, après bien des réflexions, que le beau est souvent très relatif, comme ce qui est décent au Japon est indécent à Rome, et ce qui est de mode à Paris ne l'est pas à Pékin; et il s'épargna la peine de composer un long traité sur le beau. »

Dictionnaire philosophique

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