Albi

      Sainte-Cécile, cathédrale d'Alby, est bâtie presque entièrement de briques. Sa construction a duré depuis la fin du XIIIe siècle jusqu'après le XVIe. De loin, ses murs épais, flanqués, de distance en distance, de contreforts semi-circulaires, sa tour dont la masse énorme s'élève à plus de cent pieds au-dessus de la nef, lui donnent l'aspect d'une forteresse. D'ailleurs, aucun ornement n'annonce une église, et à l'extérieur la bizarrerie de sa forme n'est pas rachetée par son élégance. Elle n'a point de façade, et la tour dont j'ai parlé occupe toute la partie occidentale de la nef. L'entrée principale est au midi, et, comme l'église est bâtie sur une hauteur assez escarpée, le niveau de la rue de ce côté est de plus de trente pieds plus bas que le pavé de l'église.
     Un escalier d'une quarantaine de marches conduit à une plate-forme sur laquelle s'élèvent à une grande hauteur des arcs gothiques travaillés à jour avec un fini admirable; cela forme une enceinte à ciel ouvert et tient lieu de porche. L'imagination ne peut rien concevoir de plus élégant, de plus gracieux que ces ogives flamboyantes, ces trèfles, ces meneaux d'une légèreté inouïe, véritable dentelle de pierre. C'est un ouvrage de la fin du XIVe siècle; on le doit à Dominique de Florence, et je ne crois pas qu'il existe ailleurs une construction aussi considérable et en même temps plus délicate. C'est un miracle que sa parfaite conservation.
     Si j'ai loué sans réserve l'exécution de ce chef-d'oeuvre de patience et d'adresse, je ne puis m'empêcher de trouver sa conception tout-à-fait absurde. A quoi cela sert-il en effet? et pourquoi ce travail prodigieux? En architecture le but précis, l'utilité évidente de chaque partie doit frapper le spectateur au premier abord. Ici en voit avec peine employer un grand artiste et une ornementation admirable à un objet non seulement inutile, mais qui aurait pu être utile. En effet, un porche est nécessaire à une église; on aime à s'y recueillir un instant avant d'entrer dans la nef; on y habitue ses yeux, par une transition ménagée, à l'obscurité mystérieuse du temple. Mais ces capricieux meneaux n'abritent ni de la pluie, ni du soleil, ni du vent. Ces riches arcades sont là pour se faire admirer, voilà tout; je les voudrais ailleurs. Cette enceinte à jour, ces filigranes de pierre, avec leur incontestable élégance, malgré leur parfaite conservation, me présentent l'apparence d'une ruine, d'un bâtiment dont les murs crevassés subsistent encore; ou si l'on veut d'une décoration d'opéra, mais d'une décoration vue de la coulisse.
     J'ai été sévère pour l'extérieur de la cathédrale; à l'intérieur, je n'aurai guère que des éloges à donner. La voûte, très élevée et d'une étonnante hardiesse, est ornée d'admirables peintures qui se détachent sur un fond d'azur et d'or. D'autres fresques aussi remarquables décorent les chapelles latérales. Au milieu du choeur, un jubé magnifique reproduit les formes gracieuses de l'enceinte de la plate-forme. La sculpture du XVe siècle y a épuisé tous ses délicieux caprices, toute sa patience, toute sa variété. On passerait des heures entières à considérer ces détails gracieux et toujours nouveaux, à se demander avec un étonnement sans cesse renaissant, comment on a pu trouver tant de formes élégantes sans les répéter, comment on a pu faire, avec une matière fragile, une pierre dure et cassante, ce que de nos jours on oserait à peine tenter avec du fer ou du bronze. - Je n'aime pas les jubés : ils rapetissent les églises; ils me font l'effet d'un grand meuble dans une petite chambre. Pourtant celui de Sainte-Cécile est si élégant, si parfait de travail, que, tout entier à l'admiration, on repousse la critique, et que l'on a honte d'être raisonnable en présence de cette magnifique folie.


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